Pierre Van Damme

Découvrir la psychothérapie du lien

En gestalt-thérapie, le contact est la formation présente et éphémère d’une figure sur un fond ou un contexte : le champ organisme-environnement (O-E). Par contre, la gestalt-thérapie du lien estime que la santé psychologique se caractérise non seulement par l'ajustement créateur dans l'immédiateté de l'expérience ressentie, le contact présent et éphémère mais encore par une propension de la conscience à embrasser sa propre continuité et son enracinement irréversible dans l'altérité. Pour que le sujet puisse atteindre cette essence, il lui faut apprendre à dénouer une série d'impasses expérimentales dont il n'a conscience que des conséquences, rarement du processus, jamais des enjeux. Le lien implique un contact dans la durée, une conscience et donc une représentation de ce lien.

« La gestalt-thérapie, thérapie de l'ici et maintenant », tel est le titre de l'ouvrage de Marie Petit (1981) pour traduire, comment la gestalt-thérapie a mis l'accent sur le hic et nunc, autrement dit comment ce qui se passe dans cet espace en prise directe avec une réalité va mettre en relief et répéter la façon dont chacun va trouver sa place dans son espace quotidien et en même temps va favoriser l'exploration de nouveaux comportements. Dans la gestalt-thérapie du lien, inspiré de Gilles Delisle (1998), c’est à un voyage inter champs dans l’espace et le temps auquel nous sommes conviés pour laisser se vivre le cycle reproduction reconnaissance réparation et permettre la dissolution progressive des micro champs introjectés issus des perturbations précoces du lien dans l’histoire développementale du patient. Tout en reconnaissant l’importance du présent, cette approche met en avant l’importance de construire des liens durables comme une compétence essentielle de l’humain.

En gestalt-thérapie, toute fonction humaine est une fonction du champ Organisme Environnement ; cet environnement est essentiellement "BIOS-PHYSICOS"

- physique, à l’image d’un champ électromagnétique qui organise la limaille de fer avec l’aimant

- biologique et animale, à l’image du prédateur qui agresse sainement, échange et investit la nature pour satisfaire ses besoins primaires

Dans la gestalt-thérapie du lien, l’option privilégiée est d’étudier le contact humain et particulièrement les relations significatives (relations d’autorité, parentale, amoureuse) qui marquent un individu et le structurent.

En gestalt-thérapie, le SELF est un processus, un système de contacts. Il n’y a pas de dichotomie interne ou externe. La réalité psychologique est dans l’entre-deux à la frontière contact du champ organisme-environnement. Gilles Delisle renonce à cette conception globale du champ organisme-environnement pour s’ouvrir au monde interne, à une réalité subjective. Toutefois, ce n’est pas un retour à l'intrapsychique de la psychanalyse : il s'intéresse au devenir des situations inachevées du passé et des dilemmes de contact précoces entre un enfant et son environnement familier. Ce n'est pas un objet mauvais ou une image défaillante de soi qui est internalisée, introjectée, mais bien une expérience globale soi-environnement qui constitue un microchamp introjecté et modifie le fonctionnement de la personnalité dans une nouvelle matrice de représentation du champ soi-environnement positive et négative. Le Self devient la structure processuelle d'intériorisation du champ. Cette approche nouvelle permet de créer un cadre satisfaisant pour comprendre la dynamique transférentielle du client. Ce n'est plus le passage du passé dans le présent mais le passage de l'interne vers l'externe qui est observé.

En gestalt-thérapie, Perls ne s’intéresse pas au pourquoi, aux causes, encore moins au résultat de ces aléas du passé sous forme de structure de personnalité ou de caractère ; il définit un simple projet d’autonomie et de croissance pour se préoccuper du comment « ça fonctionne ou dysfonctionne aujourd’hui ». Par contre, Gilles Delisle s’intéresse aux liens précoces mère nourrisson et fait référence aux auteurs de la psychanalyse des relations d’objet. Le champ 4 renvoie aux expériences du passé développemental, alors que le client construit — en traversant les grands chantiers du développement — le système immunitaire de sa psyché (sa personnalité). Au fil de ce parcours, la personnalité normale élabore un attachement sécurisé et un bon équilibre narcissique. Elle apprend également à composer avec le conflit fondamental entre le Désir et la Loi

En gestalt-thérapie, il n’y a donc pas d’étiologie des troubles ni de nosographie. Elle s’en tient au profil singulier de chacun et définit la pathologie comme l’interruption, l'inhibition ou autre accident dans le cours de l’ajustement créateur. Dans la gestalt-thérapie du lien, la pathologie est le résultat de l’intériorisation des expériences non assimilées et introjectées et clivées dans l’arrière-fond non conscient de la personne. Elle s’est ajustée particulièrement pour le traitement de troubles de la personnalité. Pour les clients présentant un trouble de personnalité, un ou plusieurs de ces chantiers développementaux sont restés inachevés. Elle ne rejette pas quelques repérages généraux pour comprendre les troubles de la personnalité mais la complète par un diagnostic structural pour identifier comment cette personne singulière reproduit à son insu dans sa vie d’aujourd’hui un dilemme de contact dans son histoire, quand un enjeu développemental sʼélabore au sein dʼune relation à la fois indispensable et intolérable, donc non-assimilable.

La gestalt-thérapie aide le SELF du patient à repérer les obstacles à son déploiement et expérimenter un ajustement créateur. C’est une thérapie centrée sur le changement présent.

 La gestalt-thérapie du lien est plus complexe car elle s’adresse à des patients ayant un fond perturbé depuis longtemps et fait une détour dans hier et ailleurs de sa vie : c’est le traitement des impasses de contact dans les différents champs expérientiels au sein d’un dialogue. Le thérapeute devient un "maître ès transitions" entre les différents champs expérientiels (d'ici et maintenant à ailleurs et hier) et favorise le déroulement et le traitement des cycles de reproduction des impasses de contact. Toutefois, en cours de chemin, le thérapeute est vigilant à maintenir l’affect à proximité. La fonction Ça reste un pôle d'observation privilégié ; sans expérimenter systématiquement le corps à corps ou la recherche d'une catharsis émotionnelle, l'awareness corporel et le ressenti émotionnel du client et du thérapeute dans l’ici et maintenant sont des points d'appui essentiels dans la recherche des impasses de contact, observables au sein de la relation thérapeutique.

La gestalt-thérapie va privilégier la simple description phénoménologique du contact et propose rapidement des expérimentations pour explorer la nouveauté au risque de faire de la réparation prématurée.

En gestalt-thérapie du lien, l'herméneutique ou co-construction du sens est posée comme la voie royale du travail thérapeutique. Toutefois, la posture herméneutique n'intervient dans la relation thérapeutique qu'après s'être butée aux limites de l'observation phénoménologique... Face à la naïveté d'une psychologie humaniste qui croit que tout peut venir spontanément à la conscience humaine, la pratique clinique et thérapeutique, et particulièrement avec les pathologies archaïques, montre qu'une part de vérité échappe toujours à la conscience et qu'il convient de la reconstruire patiemment. Le thérapeute n'est pas là, pour autant, pour interpréter avec son savoir de spécialiste : c'est bien dans un dialogue et dans le respect de la multiplicité des sens qu'il convient d'appréhender cette vérité complexe et subtile. Le thérapeute est un guide éclairé d'un chemin que l'on parcourt à deux.

En gestalt-thérapie du lien, le processus thérapeutique s’élabore selon des cycles de reproduction-reconnaissance-réparation et la relation thérapeutique conjugue trois modes relationnels :

- La relation transférentielle est cet espace où se reproduisent les enjeux développementaux inachevés.

- La relation herméneutique est cette dimension collaborative de la relation dans laquelle le thérapeute et le client sont en alliance afin d’élaborer un sens qui éclaire les impasses et leurs racines dans les enjeux développementaux inachevés du client.

- La relation réelle représente la part relativement intacte du processus relationnel. Elle sera donc la voie première qu’emprunteront les actes réparateurs qui élaborent progressivement des voies de sortie de ces cycles d’impasse.

Pierre Van Damme

Un exemple clinique : MONA

Mona est une femme de 50 ans, mariée 3 enfants, qui vit des épisodes dépressifs et de repli, de sentiment d’abandon. Elle n’a jamais pu faire confiance à une femme (impasse de contact) dans différents champs expérientiels de sa vie :

Les thérapeutes sont toujours des hommes et ses expériences de stages avec des animatrices ont été sources de grande perturbation et de confusion, suivies de repli ou d’agressivité sans jamais pouvoir recevoir du bon d’elles.

Elle a des copines mais se contente de les écouter sans se confier, sans s’engager ; elle vit une nouvelle rencontre avec une femme dans un groupe avec un désir homosexuel (exprimé mais pas agi) qui la déroute beaucoup et l’effraye. Elle découvre que, derrière ce désir sexuel, se cache une grande envie et une grande peur de tendresse féminine et d’intimité.

Quelle compréhension en termes de la théorie révisée du Self ? 

1- La fonction ça est faite de peurs, terreurs, de frayeurs, d'agressivité et de méfiance mais aussi de désir nouveau de tendresse.

2- Les mécanismes de régulation du Je sont à l’œuvre pour reproduire cette situation. Quand elle est en contact avec les femmes, elle projette sa violence qu’elle peut voir dans leur regard…, elle rétrofléchit son envie d’agresser ou de contacter, elle défléchit le bon et l’intérêt que certaines femmes lui témoignent, elle devient floue, indifférenciée ou conforme au désir du groupe (confluence), elle adopte certains mécanismes d’urgence comme la coupure ou le passage à l’acte (fuite, attaque).

3- La matrice de représentation du champ de soi et de l’autre est teintée négativement ; ses croyances sont qu’elle n’est pas digne d’intérêt et qu’il faut se méfier des femmes : elles peuvent être intrusives, dangereuses et menaçantes.

4- Elle fait le lien avec le sentiment d’abandon ressenti depuis toujours avec sa mère, décrite comme froide, intrusive, intolérante et préoccupée par un plus jeune frère psychotique sans doute à l’origine d’un dilemme de contact et d’un MI. Le non désir de sa mère à sa naissance, suivi d’évènements familiaux avec la naissance de son frère psychotique, a créé un dilemme de contact : dépendre d’une mère qu’elle vit comme destructrice et porteuse de mort. Enjeu de vie et de mort où son existence a été en suspens au prix d’un repli et d’une adaptation en surface.

Quelle relation thérapeutique avec Mona ?

Un travail gestaltiste classique s’est avéré rapidement limité voire contre indiqué en voulant faire des réparations prématurées et en encourageant Mona à entrer en contact dans l’ici et maintenant. En groupe, Mona a donné le change avec les membres du groupe et rencontré provisoirement ou superficiellement l’exigence du thérapeute. Elle s’est présentée alors comme quelqu’un qui peut écouter, assurer, et tout entendre, y compris des critiques négatives. Mais dans l’après coup c’était le repli de retour chez elle, l’angoisse et le découragement. 

Un repérage de ce qu’elle reproduisait dans le groupe, le reconnaitre a été nécessaire pour commencer à croire à un changement possible. Il a fallu un temps d’apprivoisement pour créer un climat de confiance favorable à plus d’authenticité et à l’exploration de ses affects négatifs et destructeurs. Mona a souffert de carences affectives précoces ; le lien entre elle et sa mère ne s'est jamais vraiment constitué, ce qui a déclenché beaucoup d’angoisses et une insécurité à vivre. Sa mère n'était pas disponible, ailleurs, perdue dans ses rêves, en quête d’un lien disparu.

Pouvoir créer ou recréer un lien affectif durable dans un espace thérapeutique, pour Mona, a été à la fois un risque de répéter la même histoire avec la même angoisse d’être abandonnée, d'être laissée tomber et, en même temps, une nouvelle chance de contacter sa fragilité de base et de commencer à la dépasser. C’est une expérience intégrative, puisque vécue dans l'émotion et dans les tripes, qui semble avoir eu un effet plus durable.

Mona témoigne elle-même...

« Depuis plusieurs années, je t'ai senti très proche de moi, faisant attention à moi... Je me souviens, par exemple, quand tu avais mis des coussins autour de moi, un jour quand j'étais complètement recroquevillée, c'était comme un utérus, quelque chose de chaud... Il y a cette compréhension de cette voie-là. Je crois que je n’avais pas de lien comme ça, comme bébé pour être satisfaite... J’avais l’impression que toi, tu étais un repère... Quelque chose existait entre nous. On avait dessiné un arbre à deux. Et c’est à partir de là que je pouvais garder quelque chose de toi. Je pouvais partir en vacances et tu n'étais pas mort. Alors que jusque là, la séparation c`était toujours difficile. J'oubliais la personne qui s'en allait, même mon mari quand il partait en voyage… »

CONCLUSION

Plaidoyer pour un ajustement créateur 

Il est difficile de distinguer dans les critiques des autres écoles gestaltistes ce qui est de l'ordre des préjugés personnels et idéologiques des critiques plus fondamentales. Il y a parmi eux des gestaltistes fidèles à la pensée de Perls et Goodman de 1951 et à la théorie du champ-G, et qui craignent de revisiter une partie de la théorie sans dénaturer le tout. Il y en a d'autres qui pratiquent une gestalt plus intuitive, émotionnelle et qui sont réservés face à une théorisation jugée trop réifiante.

À mon sens, la gestalt-thérapie du lien est un ajustement créateur face à l'évolution de la société et des nouvelles pathologies. La fécondité de la pratique clinique, issue de cette synthèse, montre qu'elle est une manière novatrice et actuelle d'harmoniser la réflexion et la vitalité originale de la relation thérapeutique, ce que les découvertes des neurosciences affectives viennent largement confirmer aujourd’hui.

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