Pierre Van Damme
Découvrir la psychothérapie du lien
Pierre Van Damme
Un exemple clinique : MONA
Mona est une femme de 50 ans, mariée 3 enfants, qui vit des épisodes dépressifs et de repli, de sentiment d’abandon. Elle n’a jamais pu faire confiance à une femme (impasse de contact) dans différents champs expérientiels de sa vie :
Les thérapeutes sont toujours des hommes et ses expériences de stages avec des animatrices ont été sources de grande perturbation et de confusion, suivies de repli ou d’agressivité sans jamais pouvoir recevoir du bon d’elles.
Elle a des copines mais se contente de les écouter sans se confier, sans s’engager ; elle vit une nouvelle rencontre avec une femme dans un groupe avec un désir homosexuel (exprimé mais pas agi) qui la déroute beaucoup et l’effraye. Elle découvre que, derrière ce désir sexuel, se cache une grande envie et une grande peur de tendresse féminine et d’intimité.
Quelle compréhension en termes de la théorie révisée du Self ?
1- La fonction ça est faite de peurs, terreurs, de frayeurs, d'agressivité et de méfiance mais aussi de désir nouveau de tendresse.
2- Les mécanismes de régulation du Je sont à l’œuvre pour reproduire cette situation. Quand elle est en contact avec les femmes, elle projette sa violence qu’elle peut voir dans leur regard…, elle rétrofléchit son envie d’agresser ou de contacter, elle défléchit le bon et l’intérêt que certaines femmes lui témoignent, elle devient floue, indifférenciée ou conforme au désir du groupe (confluence), elle adopte certains mécanismes d’urgence comme la coupure ou le passage à l’acte (fuite, attaque).
3- La matrice de représentation du champ de soi et de l’autre est teintée négativement ; ses croyances sont qu’elle n’est pas digne d’intérêt et qu’il faut se méfier des femmes : elles peuvent être intrusives, dangereuses et menaçantes.
4- Elle fait le lien avec le sentiment d’abandon ressenti depuis toujours avec sa mère, décrite comme froide, intrusive, intolérante et préoccupée par un plus jeune frère psychotique sans doute à l’origine d’un dilemme de contact et d’un MI. Le non désir de sa mère à sa naissance, suivi d’évènements familiaux avec la naissance de son frère psychotique, a créé un dilemme de contact : dépendre d’une mère qu’elle vit comme destructrice et porteuse de mort. Enjeu de vie et de mort où son existence a été en suspens au prix d’un repli et d’une adaptation en surface.
Quelle relation thérapeutique avec Mona ?
Un travail gestaltiste classique s’est avéré rapidement limité voire contre indiqué en voulant faire des réparations prématurées et en encourageant Mona à entrer en contact dans l’ici et maintenant. En groupe, Mona a donné le change avec les membres du groupe et rencontré provisoirement ou superficiellement l’exigence du thérapeute. Elle s’est présentée alors comme quelqu’un qui peut écouter, assurer, et tout entendre, y compris des critiques négatives. Mais dans l’après coup c’était le repli de retour chez elle, l’angoisse et le découragement.
Un repérage de ce qu’elle reproduisait dans le groupe, le reconnaitre a été nécessaire pour commencer à croire à un changement possible. Il a fallu un temps d’apprivoisement pour créer un climat de confiance favorable à plus d’authenticité et à l’exploration de ses affects négatifs et destructeurs. Mona a souffert de carences affectives précoces ; le lien entre elle et sa mère ne s'est jamais vraiment constitué, ce qui a déclenché beaucoup d’angoisses et une insécurité à vivre. Sa mère n'était pas disponible, ailleurs, perdue dans ses rêves, en quête d’un lien disparu.
Pouvoir créer ou recréer un lien affectif durable dans un espace thérapeutique, pour Mona, a été à la fois un risque de répéter la même histoire avec la même angoisse d’être abandonnée, d'être laissée tomber et, en même temps, une nouvelle chance de contacter sa fragilité de base et de commencer à la dépasser. C’est une expérience intégrative, puisque vécue dans l'émotion et dans les tripes, qui semble avoir eu un effet plus durable.
Mona témoigne elle-même...
« Depuis plusieurs années, je t'ai senti très proche de moi, faisant attention à moi... Je me souviens, par exemple, quand tu avais mis des coussins autour de moi, un jour quand j'étais complètement recroquevillée, c'était comme un utérus, quelque chose de chaud... Il y a cette compréhension de cette voie-là. Je crois que je n’avais pas de lien comme ça, comme bébé pour être satisfaite... J’avais l’impression que toi, tu étais un repère... Quelque chose existait entre nous. On avait dessiné un arbre à deux. Et c’est à partir de là que je pouvais garder quelque chose de toi. Je pouvais partir en vacances et tu n'étais pas mort. Alors que jusque là, la séparation c`était toujours difficile. J'oubliais la personne qui s'en allait, même mon mari quand il partait en voyage… »
CONCLUSION
Plaidoyer pour un ajustement créateur
Il est difficile de distinguer dans les critiques des autres écoles gestaltistes ce qui est de l'ordre des préjugés personnels et idéologiques des critiques plus fondamentales. Il y a parmi eux des gestaltistes fidèles à la pensée de Perls et Goodman de 1951 et à la théorie du champ-G, et qui craignent de revisiter une partie de la théorie sans dénaturer le tout. Il y en a d'autres qui pratiquent une gestalt plus intuitive, émotionnelle et qui sont réservés face à une théorisation jugée trop réifiante.
À mon sens, la gestalt-thérapie du lien est un ajustement créateur face à l'évolution de la société et des nouvelles pathologies. La fécondité de la pratique clinique, issue de cette synthèse, montre qu'elle est une manière novatrice et actuelle d'harmoniser la réflexion et la vitalité originale de la relation thérapeutique, ce que les découvertes des neurosciences affectives viennent largement confirmer aujourd’hui.